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principauté de cornillou marcombes
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LE MENSONGE DE CORNILHOU _Voici monsieur, vous savez bien qu'en vendant la propriété vous m'avez vendu un certain nombre de ruches ou paillons. Un jour je fus au jardin, je voulus compter les ruches. Comme il neigeait à plein temps, perdu dans la confusion de ce que je ne pouvais voir, je ne puis y arriver. Je me résolus alors à compter les abeilles, et je trouvai qu'il en manquait une. .. J'ai suivi sa trace sur la blancheur, et elle m'a conduit jusqu'à la forêt d'Algère sous la combe noire . J'ai trouvé mon abeille et deux loups de méchante figure qui la dépeçaient. Je me mis à crier « au loup ! vieux loups, loubates, loubates ! ». Ils se sont enfuis, laissant de mon abeille deux gros quartiers que j'ai chargés sur mon épaule, et j'ai repris mon chemin pour Cornilhou. Tant le faix était lourd, qu'il me semblait y faire chaud. En arrivant à la plaine de l'échelle, je voulus me reposer, je m'assis sur une pierre. Je m'essuyai le front. J'avais mon couteau et le sortis de ma poche ainsi qu'une fève qui s'y trouvait. Après un moment, je me remis en route et j'arrivai à la maison exténuée par le poids du bagage. Je posai les deux quartiers d'abeille sur la table : elle s'écrasa et se réduisit en poussière... Enfin ! C'est ce que je jure devant vous maître ! Quand revient en mon âme l'expression de la Marichou, au moment je voulus couper un peu de leur chair pour la faire revenir sur le feu que j'avais fait de notre modeste bien ! Je cherchais mon couteau mais je ne le trouvais pas, l'ayant pu laisser je m'étais reposé. Je partis donc de nouveau à sa recherche, et le trouvai à la même place. Mais je fus surpris de ne pas y voir la fève à ses côtés. Je m'aperçus qu'elle avait germée, et engendrait un long fil qui se confondait d'abord avec la végétation alentour, mais montait ensuite jusqu'au ciel. L'idée me prit de le grimper. Il me mena jusqu' se trouvait la Sainte Vierge et Saint Joseph qui vannaient de l'avoine. Comme ils semblaient ne pas s'être rendu compte de ma présence, je dus me manifester, avec un peu de toupet, et m'avancer... Ils furent surpris de cette arrivée, puis me firent voir le ciel et ses habitants. Cela prit un temps dont j'ai à présent perdu la notion cher maître ! Ainsi je croyais pouvoir reprendre mon fil pour descendre, mais des rats d'un autre siècle l'avaient coupé. Je me mis alors à faire une nouvelle corde avec de la balle d'avoine. J'en tordis, j'en tordis, tant que faire se peut, et me laissai descendre le long de la liane rugueuse. Malheureusement elle fut trop courte et je me laissai choir sur cette grande roche en face de Cornilhou. Me remettant de ma panique, je m'avisai alors de quelle nature était le mystère de son épaisseur. Voyant que je m'y enfonçais jusque sous les bras, j'appelai ma famille par des cris assourdis, leur disant, que le meilleur moyen pour me desserrer de la torpeur du rocher, était de prendre les fromages qui étaient à la cave, d'en faire des maillets, et de faire des coins avec le beurre. On me sortit et me voilà ... Maintenant, Maître, je me sens fourbu ; à votre tour de conter ce que vous avez trouvé, si vous voulez bien. _Oh ! ce n'est pas la peine, mon ami, tu as gagné le pari et je vais te donner ta quittance finale, tu l'as bien gagnée ! » Le prieur de Féniers rompit un peu après le silence laissé par le forfait inattendu du notable. Il ajouta : « j'entends bien la morale de ta fable mon cher Anet : L a vérité et le mensonge, avec le temps, tissent des liens si durs à saisir, que s'y frotte et s'y pique encore plus fort celui qui monte au ciel pour les démêler... » C'est sans doute pourquoi on entend dire encore aujourd'hui par les esprits les plus éclairés, dans le pays alentour ; que la paix des affaires ne remonte bien le cours du temps, que par les remise de dettes. Pierre Bourgeois le 27/07/13 Nota   L'orthographe « Cornilhou » est la plus fréquente rencontrée sur les plus anciens registres que j'ai pu consulter (1789). C'est également l'orthographe employée dans la version de Jacques Malhouet .
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Voici monsieur, vous savez bien qu'en vendant la propriété vous m'avez vendu un certain nombre de ruches ou paillons. Un jour je fus au jardin, je voulus compter les ruches. Comme il neigeait à plein temps, perdu dans la confusion de ce que je ne pouvais voir, je ne puis y arriver. Je me résolus alors à compter les abeilles, et je trouvai qu'il en manquait une. .. J'ai suivi sa trace sur la blancheur, et elle m'a conduit jusqu'à la forêt d'Algère sous l a combe noire . J'ai trouvé mon abeille et deux loups de méchante figure qui la dépeçaient. Je me mis à crier « au loup ! vieux loups, loubates, loubates ! ». Ils se sont enfuis, laissant de mon abeille deux gros quartiers que j'ai chargés sur mon épaule, et j'ai repris mon chemin pour Cornilhou. Tant le faix était lourd, qu'il me semblait y faire chaud. En arrivant à la plaine de l'échelle, je voulus me reposer, je m'assis sur une pierre. je m'essuyai le front. J'avais mon couteau et le sortis de ma poche ainsi qu'une fève qui s'y trouvait. Après un moment, je me remis en route et j'arrivai à la maison exténuée par le poids du bagage. Je posai les deux quartiers d'abeille sur la table elle s'écrasa et se réduisit en poussière... Enfin ! C'est ce que je jure devant vous maître ! Quand revient en mon âme l'expression de la Marichou, au moment où je voulus couper un peu de leur chair pour la faire revenir sur le feu que j'avais fait de notre modeste bien ! Je cherchais mon couteau mais je ne le trouvais pas, l'ayant pu laisser là où je m'étais r eposé. Je partis donc de nouveau à sa recherche, et le trouvai à la même place. Mais je fus surpris de ne pas y voir la fève à ses côtés. Je m'aperçus qu'elle avait germée, et engendrait un long fil qui se confondait d'abord avec la végétation alentour, mais montait ensuite jusqu'au ciel. L'idée me prit de le grimper. Il me mena jusqu' où se trouvait la Sainte Vierge et Saint Joseph qui vannaient de l'avoine. Comme ils semblaient ne pas s'être rendu compte de ma présence, je dus me manifester, avec un peu de toupet, et m'avancer... Ils furent surpris de cette arrivée, puis me firent voir le ciel et ses habitants. Cela prit un temps dont j'ai à présent perdu la notion cher maître ! Ainsi je croyais pouvoir reprendre mon fil pour descendre, mais des rats d'un autre siècle l'avaient coupé. Je me mis alors à faire une nouvelle corde avec de la balle d'avoine. J'en tordis, j'en tordis, tant que faire se peut, et me laissai descendre le long de la liane rugueuse. Malheureusement elle fut trop courte et je me laissai choir sur cette grande roche en face de Cornilhou. Me remettant de ma panique, je m'avisai alors de quelle nature était le mystère de son épaisseur. Voyant que je m'y enfonçais jusque sous les bras, j'appelai ma famille par des cris assourdis, leur disant, que le meilleur moyen pour me desserrer de la torpeur du rocher, était de prendre les fromages qui étaient à la cave, d'en faire des maillets, et de faire des coins avec le beurre. On me sortit et me voilà ... Maintenant, Maître, je me sens fourbu ; à votre tour de conter ce que vous avez trouvé, si vous voulez bien. Oh c’ est pas la peine mon ami, tu as gagné le pari ,et je vais de donner la quittance . L'orthographe « Cornilhou » est la plus fréquente rencontrée sur les plus anciens registres (1789). C'est également l'orthographe employée dans la version de J. Malhouet .
LE MENSONGE DE CORNILLOU